1 Diagnostic des déplacements urbains
Des études montrent que la population urbaine des pays du sud et de l’est de la Méditerranée qui est estimée aujourd’hui à 165 millions d’habitants, devrait croître d’environ 4 millions d’habitants par an, soit une augmentation moyenne annuelle de près de 2,5%. Le taux d’urbanisation passerait de 64% en 2004 à près de 75% en 2025. Au total, à l’horizon de 2025 la population urbaine de cette région du monde devrait augmenter d’environ 80 millions d’habitants.
A cet accroissement démographique se conjugue un étalement spatial généralisé résultant parfois d’extensions illégales, mais également d’une forme d’habitat à l’horizontal induisant des densités très contrastées entre centre et périphéries. (Le Caire s’étire sur 46 km du Nord et au sud, et sur 35 kms d’est en ouest, Istanbul sur près de 100 kms). De plus la mobilité urbaine devient métropolitaine impliquant des villes proches dans un même espace de déplacements quotidiens. Ainsi, les limites de l’agglomération centrale ne sont plus aujourd’hui pertinentes pour aborder les questions de déplacements urbains. Ces changements d’échelles territoriales qui caractérisent le phénomène d’étalement urbain et de métropolisation impliquent des difficultés supplémentaires dans la gestion des déplacements urbains notamment sur le plan institutionnel.
Une mobilité urbaine plutôt faible mais croissante
Le niveau de mobilité paraît relativement faible dans la plupart des grandes villes au sud ou à l’est de la Méditerranée, par comparaison avec les villes nord-méditerranéennes ou avec d’autres régions du monde. On enregistrait autour de l’an 2000 des taux dans la fourchette de 0,75 (Alger) à 1,2 (Tunis) déplacements motorisés par personne et par jour. Mais on est dans une dynamique d’augmentation de la mobilité individuelle, liée à plusieurs facteurs parmi lesquels la croissance économique semble déterminante.
La marche à pied reste le mode de déplacement dominant avec une part allant de 30% à 50% des déplacements recensés dans les enquêtes. Au-delà de son rôle naturel de mode de déplacement de proximité elle est parfois utilisée pour des déplacements de plus longue distance, jouant un rôle de substitut aux transports collectifs lorsque l’offre de ces derniers est défaillante ou lorsque le pouvoir d’achat de certains groupes défavorisés est insuffisant pour couvrir les tarifs de transport public.
La bicyclette est pratiquement absente comme mode de déplacement, contrairement à ce qu’on observe dans d’autres régions du monde. En revanche on trouve des villes où l’usage de deux roues motorisés est présent (Sfax en Tunisie, villes marocaines…) quoi que en régression.
Des taux de motorisation relativement faibles et contrastés
Les taux de motorisation (nombre de voitures particulières pour 1000 habitants) dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée sont dans l’ensemble relativement faibles (entre 70 et 160 voitures pour 1000 en 2003), comparés à ceux des pays de la rive nord de la Méditerranée (490 voitures pour 1000 en 2003) et d’autres régions du monde, avec des situations légèrement différentes selon les villes, mais évoluant rapidement. Beyrouth fait ainsi exception, avec un taux très élevé de 350.
On observe une dynamique de forte croissance de la motorisation dans la plupart des villes, en raison des politiques de libéralisation des importations, de la croissance des revenus, et de l’aspiration des classes moyennes à accéder à l’automobile.
Un déclin de l’usage des transports collectifs …au profit de l’automobile
Dans les villes méditerranéennes, l’usage de la voiture particulière s’accroît au point d’atteindre ou de dépasser dans certains cas les 50% de répartition modale parmi les modes motorisés. Si les transports collectifs dominent encore dans la plupart des villes, leur suprématie semble peu à peu menacée, notamment à Alger, Casablanca, Tunis et Téhéran. Par ailleurs, Beyrouth paraît atypique de ce point de vue avec un poids de la voiture particulière représentant près des deux tiers des déplacements urbains.
Il semble en effet que l’offre de transports collectifs, en particulier l’offre du secteur formel, n’arrive pas à suivre l’incessant développement de la demande. Le faible niveau de service des systèmes de transports collectifs urbains qui en résulte se traduit par :
- des surcharges de véhicules, peu compatibles avec des critères de confort ;
- des temps longs et aléatoires d’attente, menaçant la fiabilité des horaires d’activité, notamment pour le travail ;
- des temps longs de déplacement pesant sur la fatigue et la qualité de vie,
- et, parfois même, l’absence de desserte dans certains quartiers de l’agglomération
Ces défauts des transports collectifs formels conduisent les usagers à rechercher d’autres modes, soit des transports artisanaux plus adaptés, soit des modes individuels pour ceux qui en ont les moyens.
Un poids significatif des transports collectifs artisanaux
Parmi les transports collectifs on a vu apparaître et se développer depuis plusieurs décennies des transports artisanaux exploitant selon les cas des taxis collectifs (grands taxis au Maroc), des minibus ou microbus (shared taxis du Caire, microbus de Damas, fourgons dans les villes algériennes, services à Beyrouth…). Ces transports occupent finalement une place très significative dans l’offre de transports collectifs avec des parcs de plusieurs milliers de véhicules dans chaque agglomération et ils assurent une part importante des déplacements motorisés urbains et périurbains. Tunis fait figure d’exception, les minibus (louages) n’étant mobilisés que pour l’interurbain.
Leur succès vient de leur adaptabilité pour satisfaire les besoins des usagers mais ils participent aussi à la congestion et à la pollution dans les zones urbaines denses et leur coût pèse dans le budget des ménages.
Un maintien ou un développement des transports spécialisés de ramassage des employés
La difficulté des transports publics à prendre en charge la demande croissante a conduit au développement de modes et services alternatifs. Ainsi l’on peut constater le développement d’une multitude d’opérateurs privés pour le transport spécialisé des travailleurs, étudiants, et scolaires, et ce au détriment de l’offre publique.
Une congestion croissante des réseaux de voirie urbaine
Le réseau routier urbain présente de nombreux problèmes en termes de capacités, de structuration et de gestion des intersections. Ce qui a été diagnostiqué sur une ville marocaine peut s’appliquer à la plupart des villes méditerranéennes:
- Capacité insuffisante d’axes clefs de la voirie primaire urbaine
- Manque de voies de contournement
- Absence de structuration du réseau (manque de hiérarchisation des axes)
- Une mauvaise gestion de la circulation dans les centres urbains (exploitation déficiente des intersections, insuffisance de la signalisation)
- Absence de politique de stationnement
Les autorités en charge des déplacements urbains : rôle prépondérant des Etats et éclatement des responsabilités
La Méditerranée reste une région fortement centralisée où les Etats jouent un rôle prépondérant, dans la planification, l’organisation et le financement des déplacements urbains tant par l’intermédiaire de l’échelon central qu’à des niveaux déconcentrés. Ils arrivent que divers ministères soient en charge, les uns des voiries, les autres des chemins de fers ou d’autres des transports publics urbains ou simplement du contrôle des régies ou concessions. Lorsque ces compétences sont décentralisées auprès d’autorités locales, d’autres cloisonnements peuvent exister. La répartition des responsabilités demande souvent clarification.
Dans la plupart des pays, les institutions locales et/ou nationales en charge des transports urbains n’ont pas encore les moyens techniques et humains nécessaires pour jouer pleinement leur rôle. Leurs effectifs sont insuffisants tant sur le plan quantitatif que qualitatif, au regard de l’ampleur des enjeux à traiter. Peu d’institutions sont dédiées à l’organisation et à la gestion de systèmes de transports, mais de nouvelles initiatives sont en gestation dans plusieurs pays avec la perspective de nouvelles autorités organisatrices :
- réforme de 2004 en Tunisie introduisant le principe de ces autorités, dans un cadre restant très maîtrisé par l’Etat ;
- projet de réforme au Maroc avec des Autorités organisatrices et de gestion des transports ;
- projet à l’examen depuis plusieurs années en Algérie…
Cet éclatement institutionnel explique qu’on ait une connaissance insuffisante de la mobilité urbaine et que les outils de planification soient peu opérationnels. Mais la réalisation récente d’enquêtes-ménages : Alger, Casablanca, Le Caire, Istanbul, et plus anciennes (Tunis) indique que des efforts de connaissance sont initiés mais nécessitent d’être poursuivis car ces enquêtes ne sont pas toujours suffisamment exploitées, elles demeurent peu accessibles… et elles doivent être relayées par un suivi continu et une actualisation des données, comme cela a été fait à Tunis à l’occasion du Plan Directeur de Transport et du projet RFR…
Les systèmes de transport collectif sont eux-mêmes en mutation ou en crise. Le partage de l’offre de transport entre entreprises publiques et privées se fait au bénéfice du secteur public (Algérie, Tunisie, Egypte, Iran), le secteur privé étant en fait représenté surtout par l’artisanal. Le Maroc se distingue avec la mobilisation d’entreprises privées au sein de Partenariats Public Privé.
D’importants besoins de financement qui ne sont pas satisfaits
Les politiques de tarification appliquées au secteur public sont structurellement déficitaires en raison du souci classique d’atténuation du poids important des dépenses de déplacements dans le budget des ménages.
On constate aussi que les ressources financières des communes sont trop faibles et ce sont les Etats qui contribuent directement (mais le plus souvent en deçà des besoins) au financement des transports urbains, tant pour les investissements que pour le fonctionnement des opérateurs, par des systèmes de compensations, en particulier pour les tarifs réduits accordés à certaines catégories d’usagers. Mais on aboutit ainsi à un sous financement du secteur des déplacements urbains qui explique en partie la crise de l’offre.
Un investissement contrasté dans les transports de masse
Pour palier la situation difficile des transports urbains la modernisation de l’offre tend à se polariser sur des réalisations de prestige avec de nombreux projets d’investissement dans les transports de masse dans la plupart des villes méditerranéennes, aux côtés des quelques réalisations effectives. Toutefois, leurs capacités à répondre aux besoins de la population et à résoudre les disfonctionnements existants ne sont que partielles.
Des initiatives de politique publique encore en faveur de l’automobile…
Les politiques suivies en matière de déplacement urbain dans les villes favorisent le plus souvent le développement de l’usage des modes individuels à travers les nombreuses réalisations ou projets d’infrastructure routière et autoroutière. Ces investissements sont parfois relayés par d’autres initiatives de politiques publiques tendant à favoriser l’équipement des ménages en voitures.
Mais des mesures de limitation du trafic automobile ont aussi été mises en place à l’échelle de certaines villes. Il faut citer Tunis avec son plan de circulation de 1987 interdisant la traversée du centre-ville en automobile, qui a perdu de sa force aujourd’hui ; et Téhéran avec son péage urbain introduit dans le centre et sa mesure de limitation du trafic par une gestion alternée des plaques d’immatriculation.
2 Les principaux enjeux de la mobilité urbaine : un défi pour les pouvoirs publics
Maîtriser le coût élevé des dysfonctionnements pour la collectivité
Les conséquences des conditions actuellement insatisfaisantes de déplacement dans les villes du sud et de l’est de la méditerranée sont déjà nombreuses:
- La perte de temps des automobilistes et usagers des transports en commun et son impact sur la productivité des territoires ;
- La pollution atmosphérique et son impact en matière de santé publique ;
- Le poids de la facture énergétique et son impact sur la balance commerciale des pays, notamment le Maroc, la Tunisie et la plupart des pays du Machrek importateurs de pétrole.
L’accès des populations aux services et aux activités économiques tend à être réduit et les indicateurs disponibles suggèrent que les nombreux accidents, la pollution atmosphérique, et les autres nuisances sont en constante progression dans les villes.
Les coûts pour la collectivité sont vraisemblablement très élevés mais des analyses plus conséquentes doivent être menées. Ces dysfonctionnements impactent la compétitivité et l’attractivité des villes méditerranéennes. De plus, si les conséquences sociales sont plus difficilement mesurables, elles n’en sont pas moins conséquentes.
On est confronté à un risque d’accentuation de ces coûts collectifs en l’absence d’une politique vigoureuse, si l’on tient compte en effet de la combinaison des trois facteurs tendanciels :
- hausse du taux de mobilité individuelle,
- allongement des distances de déplacements en raison de l’extension urbaine,
- accroissement de la population des villes, certes ralentie par la transition démographique mais encore soutenue,
Faire face aux nouvelles contraintes de l’environnement et de l’énergie
Il convient d’intégrer de nouveaux paramètres contextuels liés aux évolutions économiques mondiales et aux objectifs d’un développement durable :
- Absorber une hausse durable du coût du pétrole et mettre en place des politiques d’économies en énergie ;
- Préserver l’environnement local des villes en réduisant les polluants nuisibles à la santé ainsi que le bruit de la circulation.
- Limiter les émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique
Avoir des institutions efficaces pour appliquer une stratégie maîtrisée des déplacements urbains
La mise en place d’institutions efficaces en charge de la gestion des systèmes de transports collectifs et de la circulation urbaine est l’un des enjeux majeurs qui ressort du diagnostic de la situation. En raison des mutations rapides actuelles et futures des villes, il convient d’anticiper sur la ville de demain dans son nouvel environnement pour concevoir des solutions durables, ce que seule permet une démarche adaptée de planification stratégique. Ces deux questions très liées seront débattues à l’
atelier 1, le 22 janvier après midi.
Trouver la bonne place pour chaque mode de déplacement
Afin d’accroître la qualité de vie et la compétitivité des villes méditerranéennes l’enjeu est l’amélioration d’une accessibilité généralisée qui passe par un équilibre des rôles de chaque mode de déplacement. Il s’agit aussi de donner une image positive d’efficacité et de convivialité des villes méditerranéennes lors des comparaisons internationales, auxquelles sont attachés les décideurs politiques.
Pour redynamiser l’offre de transports collectifs il faut parvenir à mettre en place dans les grandes agglomérations des systèmes multimodaux combinant des lignes structurantes de transport de masse, un réseau efficace d’autobus et une offre complémentaire maîtrisée de minibus et/ou de taxis collectifs C’est l’objet de l’atelier 2 le 22 janvier après-midi.
Assurer des systèmes de financement pérennes
Pour mettre à niveau les infrastructures de transport urbain et suivre la progression de la demande de déplacements,, mais aussi pour assurer un transport public réellement accessible à tous, notamment aux groupes de faibles revenus, la question du financement des transports collectifs est déterminante. L’
atelier 3, le 23 janvier au matin, débattra de diverses propositions pour s’approcher de solutions pérennes de financement.
Avoir une vision générale de la gestion de la circulation
La partage de l’espace public au bénéfice de la collectivité entière est un enjeu majeur. Les transports collectifs doivent en particulier bénéficier d’aménagements qui assurent leur rapidité et leur ponctualité. Des cheminements surs et de capacité suffisante doivent aussi être affectés aux modes de transport doux (marche à pied et bicyclette). Enfin. Les flux automobiles doivent être optimisés dans ce contexte global. La concrétisation de ces objectifs demande une meilleure gestion de la circulation et une politique de stationnement. La maîtrise de l’usage de l’automobile y est liée. C’est un enjeu essentiel et complexe car il s’agit à la fois de limiter les coûts et externalités négatives de ce mode mais aussi de faire bénéficier les populations urbaines des avantages de la dynamique de motorisation individuelle pour les déplacements où elle s’avère efficace et conforme aux aspirations de niveau de vie. Ces thèmes seront traités dans l’
atelier 4, le 23 janvier au matin.